Cette dernière réunion a été d’une part l’occasion de revenir sur les communications de l’ASCO mais aussi de lancer la première veille bibliographique du Young GORTEC. Le but de cette veille étant de reprendre des articles récemment publiés enclenchant une réflexion sur les prises en charges voire un changement des pratiques.

ASCO 2013

Peu de vraies nouveautés en ORL cette année à l’ASCO 2013. L'étude italienne (Ghi, ASCO 2013, A. 6003) comparant une chimioradiothérapie concomitante par cétuximab ou CDDP chez des patients non résécables était très attendue. Il s'agissait d'une phase II/III randomisée, à 4 bras (randomisation entre CT d'induction par TPF ou non, puis 2 bras entre RT-CT par cétuximab ou CDDP). Les objectifs principaux étaient la toxicité dans les champs d'irradiation et la survie globale à 3 ans. Quatre cent vingt et un patients (stade III-IV) ont été inclus, avec un suivi médian de 32,9 mois. La toxicité, notamment cutanée était légèrement supérieure dans le bras cétuximab. La survie était équivalente dans les 2 bras. Cependant le manque de recul et les limites méthodologiques (notamment la randomisation portant sur la CT d'induction et non pas sur le type de RT-CT, sans analyse de son impact) ne permettent pas de conclure pour le moment.

Toujours à propos de la chimioradiothérapie, l'équipe de Lyon a présenté une étude rétrospective sur la comparaison RT-CDDP standard toutes les 3 semaines versus hebdomadaire. La toxicité est moindre dans le bras hebdomadaire avec cependant une diminution significative de la survie et une majoration du risque de récidive. Le standard reste donc le cisplatine 100 mg/m² toutes les trois semaines.

L'HPV occupe une place centrale dans les interrogations avec une phase II non randomisée de désescalade chez des patients ayant un cancer de l'oropharynx HPVp16+ résécables de stades III ou IV après une chimiothérapie d'induction (Marur et al., ASCO 2013, A. 6 005). Les patients bons répondeurs étaient traités avec une dose moindre de radiothérapie. Les résultats sont bons dans le groupe de désescalade mais avec un recul de seulement 12 mois. Une phase II multicentrique est prévue (B. S. Chera et al., A. 6 097) pour des tumeurs de l'oropharynx HPV+, T0-T3, N0-N2c, < 10 P.A. La radiothérapie sera diminuée à 60 Gy, associée à du CDDP hebdomadaire 30 mg/m².

Dans les cancers de la thyroïde, de nouvelles thérapeutiques apparaissent : l'étude de phase III DECISION (Brose, ASCO 2013, A. 4), incluant des cancers différenciés de la thyroïde résistants à l'iode retrouve un intérêt du sorafénib (inhibiteur multikinase) avec une amélioration de la survie sans progression mais non de la survie globale. Pour les cancers médullaires, l'étude EXAM (Sherman, ASCO 2013, A. 6 000) a été réactualisée pour évaluer l'impact des mutations RET et RAS sur l'efficacité du cabozantinib pour 330 patients. La présence d'une mutation RET est associée à une meilleure survie sans progression. Il n'a pas été noté d'impact des mutations RAS.

 

Veille bibliographique

Pour cette première édition, trois articles ont été retenus (2 sur l’induction et 1 sur la préservation laryngée) et un point sur la littérature autour d’HPV a été fait.

Le premier essai (Haddad R, et al., Lancet Oncol 2013), PARADIGM, est une phase III randomisée américaine comparant chimioradiothérapie d’emblée (groupe B) ou précédée d’une induction (groupe A) pour des patients porteurs de carcinomes épidermoïdes de l’ensemble de la sphère ORL, de stades III ou IV, inopérables ou à faible taux de curabilité par la chirurgie. Dans le bras induction, ils recevaient trois cycles par docétaxel (75 mg/m²), cisplatine (100 mg/m²) et 5-FU (1 000 mg/m²/j pendant 4 jours) toutes les 3 semaines. à la réévaluation, les patients recevaient une chimioradiothérapie concomitante dont le design dépendait de la réponse. Les « mauvais » répondeurs (groupe A1) recevaient une radiothérapie potentialisée par du docétaxel à 20 mg/m²/semaine pour 4 semaines ; les « bons » répondeurs (groupe A2) recevaient une radiothérapie potentialisée par du carboplatine AUC 1,5/semaine pour 7 semaines. Les patients du groupe B recevaient une radiothérapie d’emblée avec 2 cycles de cisplatine 100 mg/m² à J1 et J22. Pour les patients des groupes A1 et B, la radiothérapie était de type accélérée avec boost intégré sur 6 semaines (dose totale de 72 Gy à raison de 1,5/1,8 Gy par fraction) ; pour ceux du groupe A2, la radiothérapie était standard jusqu’à 70 Gy. L’objectif principal était la survie globale et les auteurs avaient prévu d’inclure un total de 330 patients… Finalement, seulement 145 patients ont été inclus ! L’essai a été stoppé faute d’inclusion et ce, malgré la participation de 16 centres… Soixante-dix patients étaient dans le groupe induction et 75 dans le bras chimioradiothérapie d’emblée. Les deux bras étaient bien équilibrés. L’âge médian était de 54 ans. Le suivi médian était de 49 mois. Parmi les patients inclus, 17 ont rechuté dans le bras induction et 19 dans le bras chimioradiothérapie. Il n’y avait pas de différence à 3 ans en termes survie globale et de survie sans progression. Au sein du groupe induction, la survie globale et la survie sans progression étaient meilleures dans le groupe avec carboplatine (mais il s’agit des bons répondeurs à l’induction…).

Il y avait davantage de neutropénies fébriles et d’effets indésirables sévères dans le groupe induction. Finalement, aucune différence entre les 2 bras… mais cette conclusion ne peut être prise en compte sans avoir en tête que l’essai s’est arrêté prématurément avec par définition un réel manque de puissance.

 

Le deuxième article (Zhong L, et al., JCO 2012), était un essai de phase III randomisé incluant des patients porteurs de carcinomes épidermoïdes de stades III ou IVA, d’emblée résécables de la cavité buccale. Dans le bras induction, ils recevaient deux cycles associant docétaxel, cisplatine et 5-FU. La tumeur était repérée avant le premier cycle par 4 points en bouche afin d’évaluer la réponse et guider la chirurgie pour avoir une pièce d’exérèse semblable à celle qui aurait été faite en cas de chirurgie première. Ils étaient ensuite opérés selon la chirurgie initialement prévue suivie d’une irradiation parfois avec chimiothérapie concomitante. L’objectif principal était la survie globale.

Un total de 256 patients a été inclus dont 222 ayant reçu l’ensemble du protocole. Il n’y avait pas de différence démographique entre les deux bras. L’âge médian était de 55 ans. La chirurgie a été réalisée dans les 4 semaines après la chimiothérapie pour 91,6 % des patients et la radiothérapie dans les 6 semaines postopératoire pour 96,4 % des patients. Le taux de réponse à l’induction était de 80,7 % dont 8,1 % de réponse complète (en RECIST) sans toxicités inattendues et sans modifier la morbidité péri-opératoire. Sur la pièce opératoire, 12,4 % des patients du bras induction étaient sans résidu tumoral ; il y avait davantage de pT3 et de pT4 dans le bras chirurgie d’emblée avec respectivement 50,4 et 21,3 % des patients versus 20,5 et 8,3 % dans le bras induction. Il n’y avait aucune résection R1 et l’absence de différence en termes de pN entre les deux bras.

Avec un suivi médian de 30 mois, il n’y avait aucune différence significative entre les deux bras en termes de survie globale (68,2 % versus 68,8 %) et de survie sans maladie (63,6 versus 62,2 %). Il y avait une petite tendance à la réduction du taux de métastases dans le bras induction (5,5 versus 8,7 %) mais de manière non significative. Seuls les patients en très bonne réponse (absence de résidu ou moins de 10 % de cellules viables) semblaient avoir un gain en termes de survie globale et de contrôle à la fois local et métastatique. Il ne semble donc pas y avoir d’intérêt à faire une chimiothérapie d’induction avant chirurgie chez les patients opérables d’emblée pour un cancer de la cavité buccale.

 

Le troisième article choisi est une actualisation de l’essai du RTOG 91-11 (Forastiere A, et al., JCO 2012). Cet essai déjà publié en 2003, incluait 547 patients et retrouvait un bénéfice pour l’association chimioradiothérapie en termes de préservation du larynx et de contrôle locorégional. Les patients porteurs de cancers épidermoïdes de stades III ou IV des plans glottique ou supraglottique (tous opérables d’emblée) étaient randomisés dans trois bras : le bras de référence était celui induction avec 3 cycles (cisplatine et 5-FU) suivi d’une irradiation seule en cas de réponse versus une chimioradiothérapie concomitante versus une radiothérapie seule.

L’objectif principal était un critère composite appelé survie sans laryngectomie (LFS). Un total de 520 patients a été analysé. Le suivi médian des patients vivants était de 10,8 ans. Seuls 11,7 % des patients étaient vivants avec un recul d’au moins 10 ans. Les deux bras comportant de la chimiothérapie augmentaient significativement la LFS par rapport à la radiothérapie seule avec respectivement pour l’induction et pour la RCC des hazard ratio à 0,75 (IC 95 % 0,59 – 0,95) et 0,78 (IC 95 % 0,61 – 0,98). La survie globale ne différait pas de manière significative, même s'il existait une tendance délétère dans le bras RCC comparé à l’induction (27,5 % versus 38,8 % ; HR = 1,25 ; IC 95 % 0,98 – 1,61) alors que le chiffre était de 31,8 % pour l’irradiation seule ! Le bras RCC augmentait significativement le taux de préservation du larynx par rapport à l’induction (HR = 0,58 ; IC 95 % 0,37 – 0,89) ou à l’irradiation seule (p < 0.001) ; alors qu’induction et irradiation seule ne différaient pas (HR = 1,26 ; IC 95 % 0,88 – 1,82). Aucune différence en termes de toxicité tardive n’était rapportée (avec respectivement 30,6, 33,3 et 38 % de grade 3 à 5 dans les bras induction, RCC et radiothérapie) mais le nombre de décès non attribuables aux traitements ou aux cancers du larynx était nettement plus important dans le bras RCC avec 30,8 % versus 20,8 % pour l’induction et seulement 16,9 % pour l’irradiation seule.

Cette actualisation à 10 ans montre l’absence de différence entre chimiothérapie d’induction (sans docétaxel !) suivie de radiothérapie versus RCC en termes de survie sans laryngectomie. Le taux de contrôle locorégional et de préservation du larynx semble meilleur dans le bras RCC mais le nombre de décès dans ce bras est conséquent et interroge. L’ajout des taxanes à la chimiothérapie d’induction améliorant les taux de réponse et de contrôle laisse présager une meilleure préservation avec le schéma TPF.

Le futur essai SALTO éclairera le débat…

 

Un point complet sur HPV a été fait.

La recherche de l’ARNm des HPV à haut risque oncogéniques est la méthode de référence. C’est une méthode lourde et coûteuse. Les études publiées avec cette technique montrent une amélioration significative du pronostic mais n’ont porté que sur des séries rétrospectives avec des effectifs réduits. La plupart des essais ont étudié soit la recherche de p16 soit la présence de l’ADN des HPV à haut risque oncogénique. Individuellement chacun de ces tests présente une bonne sensibilité mais une spécificité médiocre et la combinaison de ces deux méthodes semble s’imposer pour affirmer le statut HPV + d’une tumeur. Au niveau mondial, et avec cette combinaison ADN-HPV/p16, 25 % des carcinomes oropharyngés sont HPV + soit 22 000 cas/an. La répartition dépend des régions étudiées. Le pronostic de ce groupe de patients reste à déterminer mais il est probablement meilleur que celui rapporté dans les études utilisant une seule de ces techniques. En France, citons deux études en cours : HPV ORO recherchant la surexpression de p16 en IHC et l’ADN d’HPV en HIS (les inclusions sont closes et les analyses en cours) et PAPILLOPHARE qui recherche HPV sous plusieurs formes : ADN, ARNm intégré ou non.

Ang et al., dans une étude rétrospective portant sur 266 patients traités pour un carcinome épidermoïde oropharyngé ont proposé une modélisation du niveau de risque des patients en fonction de leur statut HPV, de leur TNM et de leur niveau d’intoxication tabagique (seuil défini à 10 paquets/années). La définition d’une tumeur HPV + était déterminée par HIS. Le bénéfice pour les patients p16+ est également rapporté mais le pronostic des patients selon la combinaison des statuts ADNHPV/p16 n’a pas été rapportée. O’Sullivan et al., ont également proposé un algorithme permettant d’identifier les patients de bon pronostic en fonction leur statut HPV et de leur TNM (sans intégrer la consommation de tabac). La définition d’une tumeur HPV + était la surexpression de p16 en IHC. Dans la série de Ang et al. les patients à bas risque de récidive étaient HPV +/non tabagiques (quel que soit le TNM) et/ou tabagiques/N0-2a. Dans la série de O’Sullivan et al. les patients à bas risque étaient HPV+/T1-3 et N0-2c. Les patients HPV+/T4 et/ou N3 étaient considérés à haut risque de récidive. Toujours dans cette série, dans le sous-groupe des patients à faible risque N2b est observée une diminution de la survie sans métastase chez les patients traités par radiothérapie seule en comparaison des patients traités par radiochimiothérapie (respectivement 89 % vs 98 %, p = 0,03). Cette diminution est également observée dans le sous-groupe des patients N2c (73 % vs 92 %, p = 0.02). Ces différences significatives reposent la question de la place de la chimiothérapie qui permettrait de diminuer le risque d’évolution métastatique chez les patients HPV+/N2b-c.

Concernant la thérapeutique, l’étude extrEme (phase III pour les patients en rechute et/ou métastatique en première ligne avec cisplatine ou carboplatine, 5-FU, cétuximab puis cétuximab en maintenance) aborde des pistes. La surexpression de p16 a été recherchée dans respectivement 84 % et 88 % des patients des deux bras. Les patients p16+ avaient une meilleure survie (bien que non significative du fait des petits effectifs) quel que soit le traitement reçu, mais le bénéfice apporté par l’ajout du cétuximab à la chimiothérapie était retrouvé quel que soit le statut p16. L’étude d’interaction entre le traitement et le statut HPV p16 pour la SG et la SSR montre que l’effet du traitement est indépendant du statut HPV p16 (ICHNO 2013 abstract SP-006). D’autres essais devraient faire avancer la réflexion ; l’essai de phase II E-1308 compare chez les patients atteints d’une tumeur oropharyngée liée à HPV deux traitements. Tous les patients ont reçu une chimiothérapie d’induction comprenant du docétaxel, du cisplatine et du cétuximab. Les patients en réponse complète étaient irradiés en RCMI à la dose de 54 Gy avec du cétuximab. Les autres patients étaient irradiés à la dose de 69,3 Gy. L’objectif principal est la survie sans progression à 2 ans. Les objectifs secondaires sont la toxicité, la survie globale, la réponse objective et la qualité de vie. La définition d’une tumeur liée à HPV est la présence d’ADN viral par une technique d’hybridation in situ et/ou la surexpression de p16 en IHC. Les inclusions sont closes. L’essai de phase III de non-infériorité RTOG 1016 compare, pour des patients atteints d’une tumeur oropharyngée liée à HPV, un bras de référence comprenant une irradiation accélérée (70 Gy en 6 semaines) associée à deux cycles de cisplatine à un bras comprenant la même irradiation associée à 8 cycles de cétuximab. L’objectif principal est la survie à 5 ans. Les objectifs secondaires sont la survie sans progression, la toxicité, la qualité de vie et le coût du traitement. La définition d’une tumeur liée à HPV est la surexpression de p16. Les inclusions sont achevées. L’essai de phase II non randomisé mené par l’université de Californie compare pour des patients atteints d’une tumeur des VADS liée à HPV deux traitements. Tous les patients reçoivent une chimiothérapie d’induction par paclitaxel et carboplatine. Les patients avec une réponse tumorale jugée suffisante sont irradiés pendant 5 semaines en concomitant avec du paclitaxel. Les patients avec une réponse tumorale jugée insuffisante sont irradiés pendant 6 semaines avec du paclitaxel. La définition d’une tumeur liée à HPV est la surexpression de p16. L’EORTC a annoncé un essai de phase II testant un vaccin thérapeutique, le TG4001, chez les patients atteints d’un carcinome oropharyngé en association avec la radiochimiothérapie. Le détail et la définition d’une tumeur HPV + dans cet essai n’est pas encore disponible.

J. CASTELLI, Rennes
S. GUIHARD, Strasbourg
Y. POINTREAU, Le Mans