Avant d’aborder la veille bibliographique, annonce est faite qu’un numéro spécial ORL du Bulletin du Cancer va paraitre en avril-mai 2014. Sur la demande du comité éditorial du Bulletin du Cancer, le sommaire développé grâce aux membres du GORTEC et de l’Intergroupe ORL traitera des points suivants :

Généralités : épidémiologie et anatomie ; tumeurs rares / refcor.

Prise en charge par localisation : cavité buccale ; oropharynx ; hypopharynx – larynx ; cavum ; adénopathies sans porte d’entrée.

Avancées diagnostiques et pronostiques, critères de qualité  : anatomopathologie et théranostique en ORL ; méthodes d'imagerie anatomique et fonctionnelle en ORL ; critères de qualités des traitements ; critères de qualité en radiothérapie ; critères de qualité des traitements systémiques ; critères de qualité en chirurgie ; soins de support et qualité de vie.

Traitements de la récidive : chirurgie de rattrapage, réirradiation, traitements systémiques

A noter qu’un article, disponible en accès libre gratuit via Pubmed, sur les avancées en ORL a été publié en décembre 2013 dans le cadre du numéro 100 du Bulletin du Cancer.

Pour cette deuxième édition de la veille bibliographique, trois articles ont été retenus sur les 4 présentations, la dernière faite par Pierre Blanchard sur la méta-analyse cavum, n’étant pas encore publiée, ne peut faire l’objet d’une analyse.

 

1/ Le premier essai (Vermorken JB et al. Lancet Oncol 2013) est l’essai SPECTRUM.

Les anticorps monoclonaux anti-EGFR (cétuximab) ont démontré l’intérêt en termes d’amélioration de la survie chez les patients atteints de cancers ORL récidivants ou métastatiques. L’étude rapportée (SPECTRUM) a regardé l’efficacité et la tolérance du panitumumab, qui est un anticorps monoclonal entièrement humanisé (déjà utilisé dans les cancers colorectaux métastatiques) en association au cisplatine et au 5-FU en première ligne dans cette population de patients.

Cet essai randomisé de phase III a été conduit dans 26 pays majoritairement situés en Europe. Les patients étaient porteurs de cancers ORL récidivants en locorégional et/ou à distance considérés comme non curables par chirurgie ou irradiation. Ils devaient être en bon état général, sans dysfonctions clinico-biologiques majeures. La randomisation était 1:1 avec une stratification sur les précédents traitements, le site primitif et le score OMS. Tous les patients devaient recevoir 6 cycles de cisplatine (100 mg/m² à J1) ou de carboplatine AUC 5 (si clairance de la créatinine < 50 mL/min) associés au 5-FU (1000 mg/m² de J1 à J4), avec des intercycles de 3 semaines. Ceux du groupe expérimental recevaient à J1 de chaque cycle une injection de panitumumab à la dose de 9 mg/Kg, éventuellement gardé en maintenance à l’issue de la chimiothérapie (choix du patient).

L’objectif principal était la survie globale. Une analyse rétrospective des données en fonction du statut HPV par l’analyse de p16-INK4A était prévue.

Parmi les 657 patients inclus 80 % étaient âgés de moins de 65 ans. La survie globale médiane était de 11,1 mois dans le bras panitumumab versus 9 mois dans le bras contrôle, sans différence significative (HR = 0,873 ; IC 95 % 0,729-1,046 ; p = 0,14).

La survie médiane sans progression était significativement différente avec une survie de 5,8 mois dans le bras expérimental versus 4,6 mois dans le bras PF (HR = 0,780 ; IC 95 % 0,659-0,922 ; p = 0,0036). Les taux de réponses objectives étaient significativement meilleurs dans le bras panitumumab (36 versus 25 % ; p = 0,0065). Les effets secondaires de grade 3 et 4 étaient plus fréquents dans le bras expérimental notamment en termes cutanéo-oculaires, de diarrhées, d’hypomagnésémie, d’hypokaliémie et de déshydratation. Les décès relatifs au traitement étaient plus fréquents (4 versus 2 %) dont 5 décès sur les 14 en lien direct avec le panitumumab.

Les données sur le statut p16 étaient disponibles pour 443 patients (67 %) dont 99 (22 %) étaient positifs. La survie globale médiane était significativement meilleure dans le groupe panitumumab en cas de négativité de p16 (11,7 mois versus 8,6 mois avec HR = 0,73 ; IC 95 % 0,58-0,93 ; p = 0.0115). Différence non retrouvée dans l’effectif p16 positif (11 versus 12,3 mois).

L’ajout du panitumumab au PF dans cette population ne modifie pas significativement la survie globale. à noter que la survie globale du groupe PF est meilleure que dans les précédents essais pouvant éventuellement biaisé les conclusions. Le fait d’ajouter l’anticorps semble améliorer significativement la survie sans progression et le taux de réponses objectives avec un profil de toxicité considéré comme acceptable par les auteurs.

L’impact du statut p16 pourrait se discuter dans une population sélectionnée mais reste à démontrer.

Cette association n’est actuellement pas proposable en routine clinique. Seule l’association au cétuximab et à l'AMM dans les CETEC a obtenu un impact en survie globale (schéma EXTREME) .

 

2/ Le deuxième article (Kreimer AR et al. JCO 2013), porté sur une étude descriptive épidémiologique des sérologies anti HPV16 E6/E7 chez les patients atteints de cancers des VADS.

L’étude utilisait le programme EPIC (European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition), programme européen multicentrique de suivi prospectif d’une cohorte de 520 000 patients dans 23 centres après questionnaires et prélèvements sanguins congelés à l’inclusion entre 1992 et 2000 puis suivis réguliers. L’intérêt était la disponibilité des prélèvements plasmatiques pour les sérologies plusieurs années avant le diagnostic de cancer. Deux participants contrôles étaient assignés à chaque patient avec pour critères de correspondances le pays d’origine, le sexe, la date de prélèvement sanguin, et la date de naissance. Pour chaque patient atteint d’un cancer des VADS et chaque participant contrôle, ont été recherchés les anticorps dirigés contre la major capsid protein L1, les oncoprotéines précoces E6 et E7, et les protéines E1, E2 et E4, pour les types muqueux à potentiel carcinogène élevé HPV16 et HPV 18 (L1, E1, E2, E4, E6, E7), HPV31, HPV33, HPV45, et HPV52 (L1, E6 et E7), et pour les types muqueux non carcinogènes HPV6 et HPV11 (L1, E6, E7).

Six cent trente-huit patients ont présenté un cancer des VADS (cavité buccale 180, oropharynx 135, larynx et hypopharynx 247, nasopharynx 26, sinus 17, autres 33) avec un âge moyen au diagnostic de 62,8 ans, et un délai médian entre le prélèvement à l’inclusion et le diagnostic de 6,3 ans. Les anticorps anti HPV16-E6 étaient présents dans le plasma de 34,8 % des patients présentant un cancer de l’oropharynx (n = 47), et chez 0,6 % des participants contrôles (n = 9, OR 274).

Parmi ces 47 patients, 42,6 % (n = 20) étaient aussi séropositifs pour HPV16-E7. Les anticorps anti-HPV16-E7 étaient cependant présents chez 11 % (n = 178) des patients contrôles. Le risque de cancers de l’oropharynx selon la présence des autres anticorps était élevé pour HPV16-L1 (OR 3,1), HPV16-E1 (OR 5,7), HPV16-E2 (OR 9,5).

Le risque de cancer du larynx ou de la cavité buccale était plus élevé pour HPV16-E1 (OR 2), et le risque de cancer du nasopharynx plus élevé pour HPV16-E6 (OR 20,9). La seule relation retrouvée pour un autre type d’HPV était l’augmentation du risque de cancer du larynx pour HPV33-E6 (OR 3,5). En particulier, les sérologies pour HPV18 n’étaient pas associées à une augmentation du risque de cancer de l’oropharynx (E6+ : n = 3, OR 1,3 ; E7+ : n = 0 ; L1+ : n = 12, OR 1,2).

L’analyse stratifiée par délais entre le prélèvement sanguin à l’inclusion et le diagnostic de cancer de l’oropharynx a montré un taux équivalent de séropositivité HPV16-E6 moins de 2 ans, entre 2 et 5 ans, entre 5 et 10 ans, et plus de 10 ans avant le diagnostic (p = 0,89). Le délai maximal disponible était de 13,7 ans. Le taux de survie à 5 ans de ces patients atteints d’un cancer de l’oropharynx était de 58 % pour les HPV16-E6 séronégatifs, et 84 % pour les séropositifs (HR 0,30, ajustement par le tabagisme sans modification avec HR 0,32).

La séropositivité HPV16-E6 semblait donc fortement associée au risque de développer un cancer de l’oropharynx. Cependant la présence ou non d’ADN d’HPV16 au sein du tissu tumoral des patients était inconnue, on ne pouvait donc pas connaître le taux de séropositifs HPV16-E6 parmi les HPV16-DNA+ (ni par conséquence la corrélation entre Ac plasmatique anti-HPV16-E6 et rT-PCR d’ARNm d’HPV16-E6 sur tissu tumoral).

D’autre part, le dosage sérologique était unique à l’inclusion sans nouveau prélèvement pendant le suivi de cohorte et/ou pendant le diagnostic et le traitement du cancer de l’oropharynx.

Des études ultérieures prospectives de suivi sont donc nécessaires pour faire un parallèle éventuel avec les connaissances actuelles de l’histoire naturelle de l’infection HPV dans les cancers du col. La place de ces sérologies dans le dépistage, le bilan diagnostique et/ou le suivi post-thérapeutique semblent cependant des questions importantes à définir.

 

3/ Le troisième article (Grégoire V, et al. Radiotherapy and Oncology 2013)

propose une mise à jour des précédentes recommandations de délinéation des aires ganglionnaires publiées en 2003 et 2006 par l'intergroupe DAHANCA, EORTC, HKNPCSG, NCIC CTG, NCRI, RTOG, TROG.

Nous ne reprendrons ici que les nouveautés apportées par cette mise à jour.

Cette version 2013 s'applique désormais quel que soit le statut ganglionnaire (N0 ou N+), ainsi qu'en post opératoire (avec des adaptations compte tenu des modifications liées à la chirurgie). Pour les ganglions en rupture capsulaire (20 à 40 % de risque si N < 1cm, 75 % si > 3cm) ou N2, deux études (Apisarnthanarax et al. IJROBP 2006 et Ghadjar P et al. IJROBP 2010) ont montré que l’envahissement périganglionnaire ne dépasse pas les 8 mm dans 96 % des cas. Il n'est donc plus recommandé de prendre la totalité du muscle adjacent mais seulement une expansion isotropique de 10 à 20 mm.

L'aire IV est désormais divisée en IVa (groupe jugulaire moyen) et IVb (groupe supraclaviculaire médial). La limite de l'aire IVa se trouve 2 cm au-dessus de l'articulation sternoclaviculaire, suivie par l'aire IVb qui se termine au niveau de la partie supérieure du manubrium sternal. Une aire Vc (sus-claviculaire latéral) a été définie, située en continuité des aires Va et Vb. Elle est décrite comme pouvant être atteinte lors de tumeurs nasopharyngées.

Enfin trois nouvelles aires ont été définies. Il s'agit des aires VIII (aire parotidienne), IX (bucco-faciale) et X (rétro-auriculaire et occipitale). Ces recommandations ont pour mérite de permettre une nouvelle standardisation partagée par la plupart des groupes et donc une meilleure uniformisation des pratiques, aussi bien lors d'essais cliniques qu'en routine. Les auteurs insistent sur le fait que ces recommandations ne constituent pas un thésaurus pour les indications de traitement (aires à traiter, doses…).

Il se pose d'ailleurs la question de l'intégration au quotidien de ces nouvelles aires, notamment l'aire IX, qui risque d'entraîner une augmentation importante des volumes de traitement. L'autre remarque étant le choix d'une approche radio-anatomique au lieu de l'approche clinico-chirurgicale (peut-être plus proche de la réalité des récidives ?) qui prédominait dans les recommandations précédentes.

J. CASTELLI, Rennes
P. GORPHE, Villejuif
Y. POINTREAU, Le Mans