La première analyse proposée par le Dr Gorphe porte sur le Lapatinib en situation postopératoire avec radiochimiothérapie concomitante (RCC) et en monothérapie de maintenance, et publiée par Harrington et al. dans le JCO de Novembre 2015.

Dans cette phase III prospective en double aveugle multicentrique internationale incluant des patients opérés d’un carcinome épidermoïde de la tête et du cou nécessitant une radiochimiothérapie postopératoire pour des marges insuffisantes ou une rupture capsulaire et randomisés 1 :1 entre RCC + placebo et RCC + Lapatinib concomitant et en monothérapie d’entretien 12 mois avec, pour le Lapatinib, l’absence de bénéfice en DFS et avec une augmentation significative des toxicités grades 3 et 4.

Les critères d’inclusion étaient : patient opéré d’un carcinome épidermoïde de la tête et du cou (cavité buccale, orophaynx, hypopharynx, larynx) de stades II, III ou IVA d’exérèse macroscopique complète avec critères pathologiques de haut risque telles que la rupture capsulaire et une marge microscopique ≤ 5mm. Les patients étaient randomisés 1 :1 entre placebo (contrôle) et lapatinib (expérimental). La radiochimiothérapie complémentaire était administrée à 66Gy en fractionnement standard avec du cisplatine toutes les 3 semaines. Le traitement (placebo ou lapatinib) était administré per os quotidiennement pendant la RCC puis pendant 12 mois en maintenance. Les patients étaient stratifiés par le statut ganglionnaire (N0-N1 vs N2), le site tumoral, la région anatomique, et l’expression EGFR (EGFR3+ vs EGFR3- en immunohistochimie). L’objectif principal était la comparaison de survie sans récidive (disease-free survival DFS), les objectifs secondaires étaient la survie globale (overall survival OS), la survie spécifique (disease-specific survival DSS), le contrôle locorégional (locoregional control LRC), le contrôle métastatique (time to distant relapse), l’incidence de second cancer, la toxicité et la qualité de vie.

Au total, 930 patients ont été screenés dans 84 institutions de 21 pays avec 688 patients inclus et randomisés. Le site tumoral était la cavité buccale dans 41% des cas, suivi du larynx (22%), de l’oropharynx (20%), de l’hypopharynx (15 et 10%) et de localisations multiples (3 et 5%). La DFS médiane était de 53.6 mois dans le groupe lapatinib et non atteinte dans le groupe contrôle. Le taux de survie sans récidive dans les groupes lapatinib et contrôle étaient respectivement de 61.1% (95% CI, 55.0% to 66.7%) et 62.2% (95% CI, 56.1% to 67.7%) à 3 ans, et 42.9% (95% CI, 32.3% to 53.1%) et 57.1% (95% CI, 49.5% t 64.0%) à 5 ans. La différence entre les 2 bras était non significative (HR, 1.10 ; 95% CI, 0.85 to 1.43 ; p = 0.45). La survie globale médiane n’a pas été atteinte. La survie globale n’était pas significativement différente entre les groupes, ni la survie spécifique, le contrôle locorégional ou la contrôle métastatique. La qualité de vie était significativement diminuée dans le groupe lapatinib à la fin de la radiochimiothérapie postopératoire. 228 patients (65%) et 204 patients (61%) ont eu des toxicités de grades 3 ou 4 liés au traitement dans les groupes lapatinib et placebo respectivement. Les plus fréquents étaient les diarrhées (58% vs 7%, p < 0.001) et les rashs (24% vs 8%, p < 0.001). En conclusion l’adjonction de lapatinib à la RCC postopératoire et avec maintenance 12 mois n’a pas montré de bénéfice dans cette étude. Les analyses n’ont pas permis de mettre en évidence de sous-groupe de patients au bénéfice significatif.

Perspectives : Le lapatinib est un inhibiteur des domaines intracellulaires de tyrosine kinase des récepteurs HER2 et HER1(EGFR). Il est actuellement utilisé dans le traitement des cancers du sein métastatiques exprimant HER2. Les auteurs rapportent l’importance de lire les résultats de l’étude présente à la lumière de la phase II publiée par de Souza (A phase II study of lapatinib in recurrent/metastaticsquamouscellcarcinoma of the head and neck, de Souza et al, Clin Cancer Res, Avril 2012) ayant étudié le lapatinib en monothérapie chez des patients en récidives non résécables et/ou métastatiques, en 2 cohortes selon l’utilisation préalable ou non d’inhibiteur d’EGFR. Aucune réponse, complète ou partielle, n’avait été observée dans aucun des 2 groupes, la meilleure réponse obtenue ayant été une non-progression chez 41% des patients. Le bénéfice du lapatinib a été démontré cliniquement uniquement dans les cancers du sein métastatiques HER2 positifs. L’ensemble de ces résultats suggèrent que le lapatinib est probablement plus efficace comme un inhibiteur d’HER2 que d’EGFR (HER1) en pratique clinique. Ils ne permettent pas de préjuger de l’intérêt éventuel d’autres inhibiteurs de tyrosine kinase à profil d’activité antiHER différent (ex, gefitinib, afatinib).

Nous avons cependant aussi discuté de l’essai EPOC publié par William (Erlotinib and the risk of oral cancer : the erlotinibprevention of oral cancer (EPOC) randomizedclinical trial, William et al, JAMA Oncology Nov 2015). Cet essai du MD Anderson incluait des patients ayant présenté des lésions de maladie précancéreuse orales dans les 12 mois précédents (y compris en marge d’exérèse de chirurgie carcinologique) et présentant un profil spécifique de perte d’hétérozygotie associé dans des séries de cohortes avec un risque accru de cancer de la cavité buccale. 150 patients ont été randomisés entre chimioprévention par erlotinib (un inhibiteur des domaines intracellulaires de tyrosine kinase spécifique de HER1/EGFR) et placebo pendant 12 mois. Le primary endpoint était l’Oral Cancer Free Survival OCFS. Leur étude ne retrouvait pas de bénéfice à la chimioprévention par erlotinib. De façon intéressante, parmi ces patients un taux élevé de copies EGFR en HIS était associé à une diminution de l’OCFS (HR, 2.11, 95% CI, 1.19 to 3.75, p=0.01). Ces données méritent d’être confirmées chez des patients atteints de carcinome infiltrant mais posent une fois de plus la question de la place des inhibiteurs de tyrosine kinase en cancérologie ORL où les mécanismes liés à l’EGFR restent encore sous-exploités, et des interactions avec d’autres voies de signalisations telle que la voie PI3K/AKT/mTOR ;

 

La seconde analyse faite par Sébastien Guihard rapporte les résultats de l’essai de Varez et al. A propos d’un essai de phase II non randomisé évaluant l’intérêt d’une réirradiation hypofractionnée en conditions stéréotaxiques associée à du Cetuximab en traitement des récidives de carcinomes épidermoïdes des voies aérodigestives supérieures inopérables. Cinquante patients ont été inclus entre 2007 et 2013. Les récidives < 25 cm3 recevaient 40 Gy en 5 fractions un jour sur deux ; les récidives > 25 cm3 recevaient 44 Gy en 5 fractions.

Le suivi médian était de 18 mois (10-70). A 1 an, la survie sans progression locale était de 60 % (IC 95 % : 44 %-75%) et la survie sans progression locorégionale de 37 % (IC 95 % = 23%-53%). La survie globale (SG) médiane était de 10 mois (IC 95% = 7-16). Si ce résultat est comparable à la SG rapportée en cas de traitement par réirradiation associée à de la chimiothérapie (RTOG 9610 et RTOG 9611) ou par chimiothérapie seule (EXTREME), les toxicités de grades ≥ 3 sont nettement moins importantes (6% pour l'essai de Varez et al. contre 80% en moyenne pour les autres selon l’échelle CTCAE v3.0). La qualité de vie n’a pas été altérée par le traitement. Cette faible toxicité est comparable avec les études de réirradiations hypofractionnées stéréotaxiques (Lartigau et al, UPCI 06-93).

Dans cet essai non randomisé, la réirradiation hypofractionnée stéréotaxique associée à du Cetuximab apparait donc comme un traitement d’efficacité comparable aux traitements standards mais bien mieux toléré pour ces patients de mauvais pronostic.

P. GORPHE, Villejuif
S. GUIHARD, Strasbourg