La première analyse proposée par le Dr Gorphe porte sur les stades et groupes pronostiques AJCC/ UICC et carcinomes épidermoïdes oropharyngés induits par HPV (Huang et al. JCO 2015).

Il s’agit d’une étude rétrospective monocentrique de l’équipe du Princess Margaret Cancer Centre à Toronto proposant un nouveau staging pronostique I/II/III/IV adapté au statut p16+ dans les carcinomes de l’oropharynx, ainsi qu’un staging combiné prenant en compte en plus l’âge et le tabagisme. Dans cette analyse rétrospective de 1 108 patients pris en charge entre 2000 et 2010 pour un carcinome épidermoïde de l’oropharynx, 573 étaient p16+ dont 430 de stades AJCC/UICC III ou IV. Les taux de survie globale à 5 ans étaient de 88 % pour les stades I, 78 % pour les stades II, 71 % pour les stades III et 74 % pour les stades IV. Ces résultats sont concordants avec des séries déjà publiées (Word et al., Head Neck 2014 ; Dahlstrom et al., Cancer 2013 ; Spector et al., Head Neck 2014) et remettent en cause la validité du staging pronostique classique AJCC/UICC dans le cas des carcinomes épidermoïdes de l’oropharynx HPV. En effet si les staging pronostiques des cancers de l’œsophage ou de la prostate ont été modifiés avec l’intégration de paramètres non anatomiques hors-TNM (grade de différenciation, score histopronostique de Gleason, PSA), la seule modification dans le staging des carcinomes épidermoïdes des VADS entre la première édition de l’AJCC en 1977 et la septième en 2009 est la division du stade IV en IVA, IVB et IVC lors de la cinquième édition en 1997. En prenant comme critère principal la survie globale, les auteurs ont déterminé de nouveaux stades pronostiques selon 2 méthodes statistiques: une analyse de partitionnement récursif (RPA), et un adjusted hazard ratio (AHR). Ces 2 méthodes ont donné des résultats ayant une meilleure valeur pronostique que le staging classique AJCC, et entre les deux l’analyse de partitionnement récursif avait la meilleure performance. D’abord en tenant compte des stades T et N chez les M0 pour déterminer de nouveaux stades pronostiques : les résultats ont permis la répartition en stade I pour les T1-T3N0- N2bM0, avec une survie globale à 5 ans de 82 %, en stade II pour les T1-T3N2cM0, avec une survie globale à 5 ans de 76 %, et en stade III pour les T4 ou N3M0, avec une survie globale à 5 ans de 54 % (tableau 4).

 

RPA
STAGE
T1 T2 T3 T4
N0 I     III
N1 I     III
N2a I     III
N2b I     III
N2c I     III
N3 III III III III

Tableau 4 : Répartition des patients dans l’essai

Ensuite en réalisant une nouvelle analyse de partitionnement récursif pour dériver des groupes pronostiques combinant les stades précédents et des valeurs pronostiques identifiées par analyse multivariée : l’âge inférieur ou supérieur à 70 ans, et le tabagisme inférieur ou supérieur à 20 PA. Les résultats ont permis la répartition en Groupe I pour les stades I-II < 20 PA avec une survie globale à 5 ans de 89 %, Groupe II pour les stades I-II > 20 PA avec une survie globale à 5 ans de 64 %, GroupeIII pour les stades III < 70ans avec une survie globale à 5 ans de 57 %, et groupe IVA pour les stadesIII > 70ans avec une survie globale à 5 ans de 40 % (tableau 5).

PROGNOSTIC GROUP T N M AGE SMOKING PY
I T1-3 N0-N2c M0 Any ≤ 20
II T1-3 N0-N2c M0 Any  > 20
III T4, Any N Any T, N3 M0 ≤ 70 Any
IVA T4 Any N Any T, N3 M0 > 70 Any
IVB Any T  Any N  M1 Any Any

Tableau 5 : Survie globale selon les groupes pronostiques

Cette publication repose de façon pertinente la question essentielle de la distinction des carcinomes épidermoïdes oropharyngés liés à HPV (ici p16+), en rappelant que même chez ces patients le tabagisme et l’âge restent des facteurs pronostiques importants. Elle éclaire la valeur pronostique non linéaire de l’atteinte ganglionnaire chez ces patients p16+, et met en question la validité des référentiels thérapeutiques existants lorsqu’ils sont déterminés sur des analyses basées sur un staging non adapté. Enfin et surtout, cette publication pose une question centrale à l’ensemble des sociétés savantes et des groupes de recherche en cancérologie ORL : celle de la validité passée et future des critères d’inclusion lorsqu’ils sont basés sur le staging sans distinguer le statut p16. Il y a probablement plus de différences pronostiques entre un T3N0 p16+ et un T4N0 p16+ qu’entre un T2N0 p16+ et un T3N2b p16+. On pourrait pertinemment se poser la question de reprendre toutes les études randomisées en ORL ayant inclus des carcinomes épidermoïdes de l’oropharynx, pour déterminer leur statut p16 et refaire les analyses statistiques afin d’en valider – ou non – les conclusions initiales.

 

Les deux études suivantes analysées par le Dr Coutte portent sur le panitumumab.

Le standard thérapeutique des carcinomes épidermoïdes localement avancés des VADS inopérables, repose sur l’association radiochimiothérapie. La seule biothérapie, ciblant le récepteur de l’epidermal growth factor (EGFR), validée en alternative à la chimiothérapie reste l’anticorps anti-EGFR chimérique type cetuximab (Bonner, NEJM 2006). Les deux études explorées ci-après ont tenté de positionner le panitumumab (anticorps anti-EGFR humanisé) dans cette stratégie de prise en charge, soit en adjonction au standard thérapeutique (CONCERT-1), soit en alternative à la chimiothérapie de référence (CONCERT-2). Il s’agit de deux études de phase II randomisées (2:3) incluant des patients porteurs de carcinomes épidermoïdes localement avancés de la cavité orale, de l’oropharynx, du larynx ou de l’hypopharynx, stade III-IV, PS 0-1.

CONCERT-1 (n = 150) comparait le standard (radiothérapie séquentielle 50 + 20 Gy sur 7semaines + cisplatine 100mg/m² J1-22-43) sans ou avec panitumumab (9mg/kg J1-22-43). La dose de cisplatine était volontairement baissée à 75 mg/m² dans le bras panitumumab.

CONCERT-2 (n = 151) comparait une radiochimiothérapie accélérée avec boost concomitant (54+70-72Gy 6-6,5 semaines + cisplatine 100mg/m² J1-22) versus une association radiothérapie accélérée et panitumumab (9 mg/kg J1-22-43).

Les populations apparaissent bien équilibrées en dehors des localisations hypopharyngées (plus importantes dans le bras standard) et laryngées (plus importantes dans le bras panitumumab) de l’essai CONCERT-1. La localisation oropharyngée reste majoritaire (50 %) ainsi que les stades IV (80 %) et la technique IMRT (55-60 %). Le statut p16 n’était connu que dans 66 % des cas et positif (cutoff ≥ 10 %) chez 42 % dans CONCERT-1 et 24 % dans CONCERT-2. Ces deux études internationales à recrutement majoritairement européen (Espagne notamment) expliquent en partie ces répartitions.

L’objectif principal des deux études était le contrôle locorégional à 2 ans et il apparaît altéré dans les deux bras panitumumab : 61 % dans CONCERT-1 (95 % IC 50-71) et 51 % dans CONCERT-2 (40-62), les bras standards affichant respectivement 68 % dans CONCERT-1 (54-78) et 61 % dans CONCERT-2 (47-72). Les courbes de survie sans progression et de survie globale montrent également un effet négatif du panitumumab dans les 2 essais. Il n’existe aucune corrélation entre le statut p16 et la survie dans les deux études. L’analyse des toxicités est sans grande surprise avec une plus grande proportion d’événements cutanés et muqueux de grade 3-4 dans les bras panitumumab. La compliance à la radiothérapie est ainsi à la défaveur des groupes panitumumab puisqu’il est relevé 14 % de déviations majeures dans CONCERT-1 (vs 8 % bras standard). Les interruptions de traitement représentaient respectivement 16 et 7 % dans les bras panitumumab CONCERT-1 et CONCERT-2 (vs 3 et 0 % pour les bras standards). Il sera discuté l’importance de la dose intensité de cisplatine, moins élevée dans le bras panitumumab de CONCERT-1 (75 vs 100mg/m²), mais ne pouvant à elle seule expliquer de telles différences. Les auteurs feront aussi état de résultats proches de ceux obtenus par l’association radiothérapie-cetuximab (Bonner, NEJM 2006) en comparaison de radiothérapie-panitumumab (CONCERT-2), relançant le débat sur l’association radiothérapie-thérapie ciblée anti-EGFR dans ces indications. La majoration des toxicités et la détérioration de la qualité de la radiothérapie des bras panitumumab restera probablement la pierre angulaire des différences observées (Wuthrick, JCO 2014). Enfin, l’interrogation quant au statut p16, dont la négativité semblait indiquer rétrospectivement un bénéfice du panitumumab en situation métastatique (Vermorken, Lancet Oncol 2013), n’est pas retrouvée dans ces essais.

L’essai RTOG-0522 comparait une radiochimiothérapie accélérée avec ou sans cetuximab (Ang ASCO 2011 Abst 5500) et le DAHANCA 19 comparait une radiochimiothérapie accélérée (+Nimorazole) avec ou sans zalutumumab (Eriksen, ESTRO 32 Amsterdam 2013). Ces deux essais, testant comme CONCERT-1 l’adjonction d’un antiEGFR au traitement standard, sont négatifs. L’essai NCIC CTG HN.6 (Siu, ASCO 2015 Abst 6000) comparait une radiochimiothérapie standard (70 Gy-7semaines + cisplatine 100 mg/m² J1-22-43) à une radiothérapie accélérée (70 Gy-6 semaines) associée au panitumumab (9 mg/kg J-7 J15 J36) dans une population nord-américaine de carcinomes épidermoïdes localement avancés des VADS, majoritairement oropharyngés (81 % dont 68 % p16+). Cet essai est négatif sur la survie sans progression à 2 ans avec un design comparable à CONCERT-2. La communauté ORL attendra aussi les résultats du RTOG-1016 comparant la radiochimiothérapie à la radiothérapie potentialisée par le cetuximab dans une population typiquement nord-américaine de cancers oropharyngés HPV+. L’addition du panitumumab au traitement standard ou sa substitution à la chimiothérapie ne confère aucun bénéfice clinique et semble même néfaste, dans la population étudiée de cancers localement avancés des VADS. La seule thérapie ciblée validée en carcinologie des VADS reste le cetuximab, dont la structure moléculaire diffère du panitumumab (chimérique vs humanisé), laissant présager d’autres modes d’action que le simple ciblage de l’EGFR. 

Bibliographie
  1. Mesía R, Henke M, Fortin A et al. Chemoradiotherapy with or without panitumumab in patients with unresected, locally advanced squamous-cell carcinoma of the head and neck (CONCERT-1): a randomised, controlled, open-label phase 2 trial. Lancet Oncol. 2015 Feb;16(2):208-20.
  2. Giralt J, Trigo J, Nuyts S et al. Panitumumab plus radiotherapy versus chemoradiotherapy in patients with unresected, locally advanced squamouscell carcinoma of the head and neck (CONCERT-2): a randomised, controlled, open-label phase 2 trial. Lancet Oncol. 2015 Feb;16(2):221-32.
P. GORPHE, Villejuif
A. COUTTE, Amiens