Après son absence à la suite de la réunion de Besançon, ce numéro signe le retour de la veille bibliographique qui a donné lieu à deux présentations des Docteurs Philippe Gorphe (Harari PM, Harris J, Kies MS, Myers JN, et al. Postoperative chemoradiotherapy and cetuximab for high-risk squamous cell carcinoma of the head and neck: Radiation Therapy Oncology Group RTOG-0234. J Clin Oncol. 2014 Aug 10;32(23):2486-95) et Alexandre Coutte (Wuthrick EJ, Zhang Q, Machtay M, et al. Institutional clinical trial accrual volume and survival of patients with head and neck cancer. J Clin Oncol. 2015 Jan 10;33(2):156-64) sous l’égide du Young GORTEC.

La première présentation (Philippe Gorphe) portait sur l’essai RTOG 0234 : phase II randomisée radiochimiothérapie post-opératoire plus cetuximab dans les carcinomes épidermoïdes de la tête et du cou à haut risque.

Cette étude de phase II randomisée du Radiation Therapy Oncology Group dont les résultats définitifs ont été publiés par Harari et al. dans le Journal of Oncology en août 2014, rapportait la comparaison entre la radiochimiothérapie post-opératoire avec cisplatine-cetuximab ou avec docétaxel-cetuximab. Elle semble montrer une amélioration de la DFS par rapport au contrôle historique RT-cisplatine (bras RT-CT du RTOG-9501). Le bras RT-docétaxel-cetuximab montre une amélioration du contrôle à distance par rapport au bras RT-cisplatine-cetuximab. L’étude est poursuivie dans une phase II/III comparant 3 bras en post-opératoire : RT-cisplatine, RT-docétaxel, RT-docétaxel-cetuximab.

Les critères d’inclusion étaient un carcinome épidermoïde de stade anatomopathologique III ou IV des VADS (Cavité Buccale, Oropharynx, Hypopharynx, Larynx) d’exérèse complète, avec des marges R1 et/ou un envahissement ganglionnaire avec rupture capsulaire et/ou au moins 2 adénopathies métastatiques (les mêmes critères que le RTOG-9501). Les patients étaient randomisés 1:1 entre le bras RT (60 Gy conformationnel ou IMRT, fractionnement standard 2 Gy) + cisplatine (30mg/m² hebdomadaire) + cetuximab (400 mg/m² dose de charge puis 250 mg/m² hebdomadaire), et le bras RT (60 Gy) + docétaxel (15 mg/m² hebdomadaire) + cetuximab.

L’objectif primaire était l’évaluation des 2 protocoles de CT, l’étude étant conçue pour déterminer si un protocole était susceptible d’être poursuivi dans une phase III. Le critère était la comparaison de DFS avec le contrôle historique (bras RT-CT du RTOG9501 : 60 Gy – cisplatine 100 mg/m² J1-J22-J43). Les objectifs secondaires étaient l’OS, le contrôle LR, les métastases à distance, la tolérance et la toxicité. Les résultats carcinologiques étaient stratifiés par statut p16, le performans status, et l’IMRT.

Deux cent trente huit patients ont été inclus, 35exclus de l’analyse, 203 analysables (cisplatine n = 97, docétaxel n = 106). 94 % étaient des stades IV. Les bras étaient comparables en âge, sexe, performans status, stade T, stade N, stade AJCC, marges R1 (42 % vs 40 %), rupture capsulaire (60 % vs 59 %), au moins 2 adénopathies envahies (85 % vs 84 %), IMRT (37 % vs 40 %), et compliance aux traitements. Le suivi médian était de 4,4 ans. Les DFS à 2 ans étaient de 57 % dans le bras cisplatine et 66 % dans le bras docétaxel. La DFS était meilleure dans le groupe docétaxel-cetuximab que dans le groupe contrôle (p = 0,01). Les survies globales à 2 ans de 69 % dans le bras cisplatine-cetuximab et 79 % dans le groupe docétaxel-cetuximab, toutes les 2 meilleures que dans le groupe contrôle (respectivement p = 0,04 et p = 0,001). Les métastases à distance étaient moins fréquentes dans le groupe docétaxel-cetuximab que dans le groupe contrôle (p = 0,03).

Le taux de contrôle locorégional n’était pas amélioré. Les résultats des patients p16+ étaient meilleurs que les p16- dans les 2 groupes (survie globale à 2 ans cisplatine 90,9 % vs 40,0 %, docétaxel 100,0 % vs 66,7 %). Dans les groupes cisplatine et docétaxel, les toxicités non hématologiques grade 3 ou 4 les plus fréquentes étaient les mucites (56 % vs 54 %), la dysphagie (38 % vs 37 %), et les rashs cutanés (36 % vs 39 %). Les toxicités hématologiques grade 3 ou 4 étaient plus fréquentes dans le groupe cisplatine (38% vs 14 %). La toxicité tardive la plus fréquente était la dysphagie (6,0 % vs 3,2 %).

Les auteurs concluent que « la radiochimiothérapie post-opératoire avec adjonction de cetuximab est faisable et bien tolérée avec une toxicité prédictible et acceptable. La radiochimiothérapie avec docétaxel montre des résultats favorables avec une amélioration de la survie sans récidive et la survie globale par rapport aux contrôles historiques. Cette radiochimiothérapie est en cours d’évaluation dans une étude de phase II/III ».

Cette étude repose la question de l’optimisation du traitement complémentaire post-opératoire. Les auteurs ne rapportent malheureusement pas de comparaison statistique directe entre les résultats carcinologiques des 2 bras (comparaison non significative ? probablement non prévue par manque de puissance en phase II). La comparaison avec le bras historique du RTOG-9501 est discutable méthodologiquement, d’autant que le schéma de cisplatine était différent (hebdomadaire vs 3 cycles). Pour rappel, le RTOG-9501 (Cooper et al. NEJM 2004) avait montré le bénéfice en contrôle LR et DFS de l’adjonction de cisplatine à la RT post-opératoire en cas de marges R1 et/ou rupture capsulaire et/ou plus de 2 adénopathies envahies.

L’analyse de la réactualisation du RTOG-9501 (Cooper et al. IJROBP Dec 2012) a montré une disparition du bénéfice du cisplatine dans tous les endpoints : contrôle LR (primaire), DFS (secondaire). La différence avec l’EORTC-22931 était alors imputée à l’hétérogénéité des critères d’inclusion et à l’absence de stratification par status HPV (avec des populations différentes, 42 % de localisations oropharyngées dans le RTOG contre 30 % dans l’EORTC et 10 % de localisations hypopharyngées dans le RTOG contre 20 % dans l’EORTC, et au sein des oropharynx un taux d’HPV+ probablement plus important dans la population du RTOG, les HPV- ayant des p53 plus souvent non mutées en faveur d’une meilleure sensibilité théorique au cisplatine). L’intérêt de cette nouvelle étude est la poursuite par une phase II/III dans le RTOG-1216 débuté depuis mars 2013 comparant RT-cisplatine (40 mg/m² hebdomadaire, bras contrôle), RT-docétaxel (15 mg/m² hebdomadaire), et RT-docétaxel-cetuximab. L’utilisation du bras historique du RTOG-9501 comme contrôle dans le RTOG-0234 obligeait à reprendre comme critère d’inclusion les >2N+, mais ce critère est abandonné dans le RTOG-1216 ne laissant que les marges R1 et la rupture capsulaire. L’objectif primaire de la phaseII est de sélectionner le meilleur bras expérimental visà-vis du bras contrôle (DFS), l’objectif primaire de la phase III est de comparer la survie globale (OS) du bras expérimental sélectionné avec le bras contrôle.

La seconde (Alexandre Coutte) portait sur l’étude de phase III RTOG 0129 qui comparait un schéma de radiochimiothérapie accélérée (72 Gy en 42 fractions et 6 semaines, 2 cisplatine 100 mg/m²) à un schéma standard (70 Gy en 35 fractions et 7 semaines, 3 cisplatine 100 mg/m²) chez 743 patients porteurs de carcinomes épidermoïdes localement avancés des VADS OMS 0-1. Il n’a pas été montré de supériorité du bras expérimental par rapport au bras standard mais un impact pronostique majeur du statut HPV (Ang et al. NEJM, 2010). Les données de 471 patients, dont les statuts HPV/tabagique était connus, ont pu être analysées par Wuthrick et al. Cette étude rétrospective, de sous-groupes, a ainsi cherché à estimer l’effet du volume de recrutement des centres sur la survie globale.

Les centres étaient classés à volume de recrutement historiquement élevé (HHAC : historically highaccruing centers) ou bas (HLAC : historically lowaccruing centers) sur base de 21 essais RTOG menés de 1997 à 2002 (n = 3 007 patients). HHAC représentaient alors 5 % des centres RTOG et 1/3 des inclusions. Sur les 471 patients analysés, 150 étaient issus de 13 HHAC et 321 de 88 HLAC. Les HHAC ont inclus plus de stades T4 et plus de patients OMS 1 que les HLAC (p respectivement 0,002 et 0,04), les autres paramètres étaient équilibrés entre les 2 groupes. La survie globale des patients issus des HHAC était significativement meilleure que celle observée dans les HLAC (5yOS = 69,1 % vs 51 %, p = 0,002). Des déviations protocolaires ont été observées à hauteur de 6 % dans le groupe HHAC contre 18 % dans le groupe HLAC (p < 0,001). Aucune analyse des contourages ou dosimétriques n’a été réalisée. Les centres à volume de recrutement historiquement élevé ont, dans l’essai RTOG 0129, une survie globale significativement plus élevée que les centres à faible volume. Ces résultats correspondent à ceux du TROG 02.02 (Peters et al. JCO, 2010). Les déviations protocolaires n’expliqueraient que 21 % des différences observées, ce qui laisse à penser que d’autres facteurs interviennent : formation, expérience, environnement (académique, soins de support…), effectifs médicaux et paramédicaux… Les solutions apportées par les auteurs sont la formation continue, la prise en compte du volume de recrutement dans les essais RTOG et le recours aux centres experts dans les situations complexes de carcinomes épidermoïdes localement avancés des VADS.

P. GORPHE, Villejuif
A. COUTTE, Amiens